Archive de mars, 2015

27 mars


2015
31.03

Il en aura fallu, du temps. Du temps pour qu’on se tolère, qu’on s’apprenne. Qu’on se parle. Et puis, d’une certaine manière, qu’on se respecte. Toi l’homme droit, inexpressif, affirmé, travailleur, et moi le roseau qui plie sous le vent, jamais au bon endroit, torturé et émotif. La fourmi et la cigale, peut-être. Et aujourd’hui je récolte le fruit de ton labeur sans avoir rien fait pour ça.

Il y a beaucoup de jours où je t’ai haï. D’avoir brisé le couple que je formais avec Maman, surement. De ta dureté, de ton intransigeance, que, je l’ignorais à l’époque, tu appliquais d’abord à toi-même. Là où Maman me traitait comme un égal, tu pensais que l’enfant n’avait pas droit à la parole. Nul doute que c’est la manière dont toi tu avais été élevé. Alors je t’ai affronté. J’ai dû gagner ce droit, et ton respect. Tu ne le montrais pas souvent, me rabrouant souvent, évoquant mon manque de culture, de lecture, de travail, mais je sais aujourd’hui que tu appréciais mon esprit. Surement devais-tu penser qu’avec le travail que j’aurais dû fournir, comme toi, j’aurais pu être quelqu’un qui peut apporter aux autres. Maman nous disputait souvent de nos haussements de ton, mais nous savions, tous les deux, que là se trouvaient nos échanges, et que la voix qui monte n’était plus le signal d’un affrontement imminent, mais juste notre façon de communiquer.

Je me souviens de la première fois où je t’ai aimé. Je retrouverais bientôt, je l’espère, la photo que Maman avait prise. Nous nous baladions en vélo tous les trois, et tu avais passé ton bras autour de mes épaules pour prendre la pose. Je crois bien que c’était là la première marque de complicité que tu marquais. Je me souviens aussi du regard fier que je posais sur toi quand je venais te voir à ton cabinet. « C’est mon père », me disais-je. Ce n’est que quelques années plus tard, après que Maman eut bien balisé le terrain, que tu me dis que tu souhaitais m’adopter. J’aurais voulu que tu dises : « Parce que tu es mon fils. » Mais tu as parlé d’héritage. C’était ta façon à toi de me dire que tu étais là. Toutes ces attentions que tu avais à mon égard, que Maman devait dire, sans quoi je n’aurais jamais su que ça venait de toi.

Nous avons continué de nous affronter, souvent, comme ces vieux amants dont parle Brel. Mais tu voyais j’espère dans mon regard que je t’écoutais avec une attention nouvelle, cherchant dans tes mots les arguments même qui me permettraient de te contredire. Et je crois que tu goûtais ces contradictions avec intérêt.

Nous avons grandi, l’un à côté de l’autre, l’un contre l’autre, et si je sais que tu m’as changé, j’aime à croire que je t’ai changé aussi. Parfois, tu fléchissais. Parfois, j’arrivais à te prendre dans mes bras.

Forcément, ce 27 mars, j’aurais aimé pouvoir le faire, une dernière fois. J’ai mis quelques jours à trouver le courage de venir te voir, dans cet endroit que tu ne quitteras plus. Je sais, désormais, toujours où te trouver. Et tu sais que mon âme ne quittera jamais vraiment ta dernière demeure.

J’aurais aimé que tu me guides encore un peu. Le monde est dur, tu ne m’as pas assez appris, encore. Mais si je t’ai affronté toi, alors je peux affronter la terre entière. Pourtant, je regretterais toute ma vie de n’avoir jamais trouvé le bon moment, jamais trouvé le courage de t’appeler comme je t’appelle aujourd’hui, si souvent, pour te rappeler à moi.

Tu me manques, Papa.

 

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Trois jours et deux nuits


2015
25.03

Trois jours et deux nuits. Trois petits mots et deux espaces où ce qui ne peut être exprimé se niche. Où tes mains cherchent les miennes et où nos corps se lient.

Des parenthèses où nous nous trouverons, jusqu’à ce que ton cœur se soigne, et aille, dis-tu, se fondre avec un autre que moi. Un hors-du-temps où nous nous trouverons, jusqu’à ce que ton corps accepte de se libérer enfin entre les mains d’un autre que celui qui te manque. Nous croyons que ce sera moi. Peut-être qu’alors, nos étreintes continuerons, toujours plus intenses, plus joyeuses. Peut-être qu’alors, nous nous apercevrons de la réalité d’un « nous ». Et ferons mentir l’adage « qui se ressemble s’assemble ». D’ailleurs, es-tu sûre que nous fussions si différents ? Ou peut-être qu’alors, nos deux âmes se détacheront comme deux parties d’un fruit trop mûr, étonnées d’avoir partagé autant, et heureuses de l’avoir fait.

Cette incertitude me refera mal, surement. Et sans doute n’aurais-je pas la force de te le cacher, partageant aussi ma douleur. Alors j’essayerais de faire vibrer mon cœur ailleurs. Alors je n’y arriverais pas, et je t’en voudrais, un peu. Alors aussi ton sourire se ternira quelque peu, jusqu’à ce que nos deux peaux se collent à nouveau, dans l’évidence qui est déjà nôtre.

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Que fais-tu quand elle n’est pas qu’à toi ?


2015
22.03

Des vagues… Tu divagues, entre deux eaux. « Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? »

Tu te noies, dans des bras, qui te tirent vers le fond ? Ou t’aide-t-il à ne pas te perdre dans les méandres d’un chagrin impossible à regarder ? Ne te mens pas. Tu cherches là l’oubli qui n’arrive jamais à t’habiter, et en ça, tu n’as pas changé.

Incapable. Stupide. Incapable d’aimer celle qui t’appartient. Tombant amoureux de celles que tu ne touches pas, ou pas assez. C’est facile, n’est-ce pas, de tout donner à celle qui ne le prendra pas ? Tu ne prends pas de risques, celui de la faire souffrir. Celui d’assumer que tu peux faire mal.

As-tu regarder les dernières femmes pour qui tu t’enflammes ? Oui. Le même schéma. Elles ne sont pas à toi. Elles te donnent leur corps, elles te donnent leurs yeux plein de promesses, leurs bras plein de tendresse et de désir. Et toi tu les aimes, comme un fou, tu les écris, tu leur ériges des autels au pied desquels tu te recueilles, te flagelles, trop stupide pour voir que tu construis ton propre désespoir.

Bien sûr, la jalousie te fait vivre, ne jamais l’avoir à toi fait que tu passes ta vie à les séduire, tu fais le paon, brandissant toute ton âme en étendard de couleurs chamarrées.

As-tu, auras-tu seulement le courage d’essayer, si celle que tu dis attendre se présente ? Pourras-tu arrêter de voir la vie comme une épreuve à traverser, t’érigeant toujours plus de remparts à franchir, de barrières à briser ?

T’avoueras-tu que tu aimes ce déséquilibre, funambule au dessus du vide au fond de toi. Trouveras-tu la force que dis-tu tes parents t’ont donnée, de redescendre au sol, de trouver l’équilibre qui pourrait t’offrir le bonheur, le vrai ? La plénitude qui te remplirait enfin ?

Bien sûr que non. Lâche, tu vas continuer à errer, te gargarisant de ton malheur, l’éclaboussant à la face de ceux qui voudront bien l’écouter, créant ce côté torturé, parce que tu sais que cela plaît. Et quand viendra ton tour de nourrir les vers, tu seras seul. Aucune âme ne t’accompagnera dans le vide.

Souviens-toi de cette phrase que tu ériges en leçon pour les autres mais que tu ne suis jamais : « La liberté, c’est assumer ses choix ». Toi, tu ne choisis pas. Tu prends tout, et tu n’as rien. Et tu trouves le moyen de t’en plaindre.

Continue à écrire, pour personne, tes tourments sentimentaux que tu crées de toutes pièces. Et abandonne-toi dans ces bras que tu chéries d’autant plus qu’ils finiront par t’abandonner, un jour ou l’autre. Feras-tu un jour les sacrifices qu’il faut ?

Tu n’es pas clair. Tu as appris à accepter que le corps de l’autre, que tu as fait tien, passe dans d’autres mains. Tu as appris à aimer une qui n’était pas à toi. Tu étais le compagnon, ou l’amant. Mais là ? Un peu à toi. Un peu à d’autres. Sans doute avec la même intensité, avec la même flamme dans le regard. Et tu deviens un parmi d’autres, chéri, certes, mais pas unique. Nullement original. Peux-tu supporter ça ? Un jour tu seras comme toutes les cendres, mais vivant, tu es différent. Tu te le dois ?

Tu sais ce que tu devrais faire. « […] puisqu’il est cruel, vous fûtes sot de ne pas, cet amour, l’étouffer au berceau ! », dit Roxane. Tu en as déjà étouffé d’autres. Quelques jours, et cette sensation si belle, si exceptionnelle, tu n’en fais qu’un souvenir légèrement teinté de mépris et de regret. Tu sais bien pourquoi d’un coup, tu cours non plus à l’assaut d’autres corps, mais d’autres cœurs. Pour te prouver que toi aussi, tu peux aimer double, ou triple… Que ce n’est pas un mensonge. Pour ne pas être en retrait, non ? C’est un jeu de dupes, encore un. Tu es curieux, mais tu veux te protéger, surtout.

Vas-tu courir la Bretagne pour la retrouver ? Vas-tu accepter qu’en la quittant, son âme ira déjà courir en pensée vers un autre ? Tu t’es déjà réservé une possibilité d’une autre rencontre, même pas rentré chez toi. Pour ne pas trop penser à elle en rentrant. Pour te prouver que tu es dans le désir, et non dans le besoin ?

Ne crois-tu pas, au fond de toi, qu’un amour naissant qui n’est pas exclusif n’est pas complet ? Une manière de te mentir ? Tu vas aller voir ? Tu vas continuer à te faire mal ? Au moins, ça te détourne d’autres douleurs. Et tu meurs de sentir son joli visage entre tes mains. Tu mendies ce pincement dans ton cœur sec. Et tu vas le mendier longtemps.

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Orphelin


2015
16.03

J’aime à le dire, souvent : J’ai toujours été un vieux con. Le temps a passé, et j’ai fini par fréquenter des gens plus jeunes, auprès de qui il est devenu possible de l’affirmer sans que ce soit absurde. Mais au fond, comme beaucoup d’autres, surement, je n’ai jamais vraiment grandi.

Jusqu’à ce matin du premier novembre, le jour des morts, où, bien que je ne le sache pas encore, je me suis réveillé orphelin. Un grand gamin de 34 ans qui avait perdu ses parents.

Depuis, bon gré mal gré, je suis, par la force des choses, un adulte. Mes amis me servent de béquille, mais bientôt, je devrais marcher, réellement, seul, sans personne pour me relever quand je tombe.

Je me souviens que lors de mon premier grand chagrin d’amour, après quelques semaines à essayer de surnager dans ma peine, à me noyer dans des soirées, j’avais appelé Maman, un soir. Elle était venue, sans même y réfléchir, et m’avait ramené à la maison. J’avais 20 ans, et je pense me souvenir qu’elle avait vite retrouver ce geste, qui pourrait sembler incongru, qu’elle avait pour me calmer quand j’étais enfant, de caresser mon postérieur.

Je me souviens ne pas avoir capté sa détresse lors de la mort de sa propre mère, deux ans plus tôt.

Je me souviens qu’à chaque faux-pas, à chaque embûche, d’une manière ou d’une autre, qu’il ait fallu qu’il le soit ou non, ils étaient là. Toujours prêts à me relever, à m’aider, à me soutenir. Quelle chance j’ai pu avoir, de les avoir.

Alors, évidemment, qui soigne ma peine, aujourd’hui ? Qui puis-je appeler pour me consoler ? Mon père avait appris à m’écouter, et à me comprendre, malgré les murs immenses qui nous séparaient. Ma maman savait m’entendre, me parler. Je la prenais souvent dans mes bras, le soir. Lui montrer que je l’aimais.

Mais maintenant, seul, il n’y a personne pour me consoler. Personne pour me dire que cela passera. L’ultime mensonge raconté aux enfants. Des fois, les peines ne sont pas des gros chagrins. Des fois, elles ne passent pas. Des fois, on s’habitue juste à leur présence, on les range dans un coin, avec les autres, de plus en plus lourdes à porter, et on continue à marcher. Sur ce chemin qui, imperceptiblement, nous mène à oublier qu’avant, quelqu’un d’autre portait notre fardeau.

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10 mars


2015
10.03

Et la vie, étonnamment, ne s’arrête pas.

Bien sûr, nombre de jours me ramènent l’idée que je serais bien, étendu auprès d’eux, apaisé enfin, et ne ressentant plus la souffrance de leur absence. Bien sûr, pas un jour ne se passe sans que mes pensées ne se tournent vers eux, perdus à jamais. Et souvent encore, et juste maintenant, les larmes me montent aux yeux.

Mais je me souviens aussi des promesses que j’ai faites sur cette tombe double. Où une troisième place m’attend déjà. Ils avaient 60 et 70 ans. C’est encore une cinquantaine d’années qu’on a volé à ceux que j’aimais, et qui m’ont fait. 50 années que je leur dois. 50 années que je ne dois pas gaspiller, que je dois vivre, coûte que coûte, parce que eux n’auront pas cette chance. Malgré la douleur, cette douleur, et toutes les autres, à cause de cette douleur, je dois tenir.

Aujourd’hui, Maman, tu aurais eu 61 ans. Aujourd’hui, je t’aurais surement fait envoyer quelque chose, surement en retard, comme cet anthurium pour la fête des mères, et qui est encore là-bas, dans notre maison, et que j’arrose dès que je le peux.

Au lieu de cela, je suis retourné au dernier endroit où tu seras jamais, et j’ai mis quelques roses dans un vase, quelques mètres au-dessus de toi. Et j’ai pleuré.

Aujourd’hui, j’ai aussi passé la journée dans les bras d’une surprise, que je pourrais presque te soupçonner, Maman, d’avoir envoyée là. Parce que, étonnamment, la vie ne s’est pas arrêtée. Parce qu’étonnamment, j’ai pu faire l’amour à cet ancien amour, si doucement, si tendrement, quand elle venait me voir, me porter, quelques semaines après qu’ils soient partis, alors que je n’avais pas touché une femme depuis des mois. Parce qu’étonnamment, j’ai retrouvé ensuite le chemin du plaisir dans les bras d’une compagne de jeux à l’écoute, et ouverte à toutes les folies qui me passent par la tête. Parce qu’étonnamment, aujourd’hui, je me suis senti si doucement vibrer pour une inconnue qui passait par là par les hasards des jours, et que mes mains sur son visage et sur son corps m’ont rappelées encore une fois que je pouvais respirer. Exister. Vivre.

Je ne sais où vous êtes tous les deux, aujourd’hui. Je ne crois pas, à mon grand désespoir, que vous fussiez ailleurs que dans mon cœur, meurtri et asséché, mais autel de votre mémoire, tant qu’il battra. Mais aujourd’hui, autant de femmes que d’années ont passées dans ma vie, me rappelant si souvent à mon corps qui, lui, veut se battre et exister. Rappelez-moi toujours cette pulsion de vie qui m’assaillît quand les vôtres se sont éteintes. Aidez-moi à me rappeler que je me bats aussi pour vous. Parce que c’est tout ce que vous souhaitiez pour moi. Rappelez-moi que l’amour transcende mes bassesses, mes erreurs, mes faiblesses. Et que quand mon corps retournera à la terre. Quand ma vie s’éteindra enfin. Je ne devrais rien regretter, et me laisser filer pour, le devoir accompli, me fondre à vous, dans le néant, qui sera l’endroit où je pourrais, une ultime fois, vous prendre dans mes bras.

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