J’ai souvent compté ici le nombre de mes partenaires. Comme un jeune ado boutonneux, comme un faluchard avec son potager (cf l’article 11), je détaillais celles qui m’accordaient leurs faveurs comme des trophées sur une étagère.
Je savais me contenter de ces échanges souvent joyeux et toujours libérateurs. Nous nous allongions l’un contre l’autre, une fois nos corps rassasiés, et si il n’y avait de l’amour, en tout cas la tendresse suffisait à lever mon impression de solitude.
Jusqu’au début de l’année 2014, qui marqua, il me semble, les premières fois où, malgré ces corps en sueur, malgré ces bras qui m’entouraient : Je me sentais toujours seul. Alors l’envie de ces étreintes me quitta. Je prenais toujours un plaisir certain à regarder de jolies femmes passer, mais le désir de les conquérir n’était plus. Cela aurait sans doute pu durer quelques temps, d’autant que je sombrais dans l’idée que tout était fini, que ne me restait qu’à trouver un endroit isolé où je pourrais attendre, paisiblement, à défaut de vouloir quitter tout cela définitivement.
Quelques mois plus tard, une amie m’apprit qu’il était biologique de ressentir, après une perte dans la tribu, le besoin de se reproduire. Cela pris quelques semaines, pourtant, après la disparition de mes parents, mais je retrouvais ce bonheur dans les bras d’un ancien amour, elle aussi là pour consoler une perte qu’elle avait subi. Je me souviens très bien de cette étreinte, pour intense et simple qu’elle fut. Nos deux corps qui s’entrelacent, des mouvements d’une infinie lenteur, et cette délivrance, l’un dans l’autre. Puis le besoin de me lier à d’autres, pressant, impérieux. Et par bonheur, dans la rencontre de ma première conquête polyamoureuse, qui mit des mots sur des sensations, des envies que je compris plus tard avoir déjà ressenties. Ce sens, tellement grand, que prenaient les corps quand ils sont emprunts de la même joie primaire à se retrouver, cette fascination de se trouver, au milieu des autres.
Aujourd’hui, malgré la rassurante certitude que je n’oublierais aucun corps frôlé, je me rends compte que ce décompte est bien vain. S’il est important de ne galvauder aucune étreinte, il me parait bien plus significatif de me rappeler ces femmes qui m’ont changé. Celles qui m’ont connu, avec qui nous avons partagé non pas que l’extase de nos désirs, mais bien un bout de chemin en commun. En fait, probablement, celles qui ont essayé de m’aimer, et que j’ai essayé d’aimer en retour. Ce sont elles qui marquent ma route.
Je ne savais rien de l’amour, ni des autres, quand j’ai rencontré Amélie. D’ailleurs, j’ai mis du temps à comprendre que nous allions nous lier autrement que d’une affection sincère, et un peu adelphe. Il serait illusoire de dire que, pendant deux ans, nous nous sommes vraiment connus. Mais nous nous sommes aimés sincèrement. Et dans ma jeunesse, je pensais, sans en comprendre le sens et les implications, que cela serait éternel. Evidemment, ce ne le fut pas. Elle le comprit avant moi, et, comme je l’ai déjà détaillé maintes fois dans ces lignes, fit beaucoup de dégâts en partant. Oh, ce premier chagrin d’amour, quand on ne sait pas qu’un jour, on pourra aimer de nouveau.
Quelques années plus tard, pourtant, Ralliowa entrait dans ma vie par l’intermédiaire des lèvres d’un camarade qui, ne pouvant obtenir d’elle plus que ses baisers, la « laissa » entre mes mains, bienheureuses, elles, de pouvoir échanger, sans plus de calculs. Quelle soirée, lui étreignant déjà la demoiselle que j’avais introduit aux affres du sexe quelques semaines plus tôt, et moi, dans cette boite, faisant glisser sur le ventre de Ralliowa un glaçon entre mes lèvres. Là encore, deux ans s’en suivirent, malgré, hélas, mon cœur encore un peu à l’affût de la précédente. Nous restâmes amants, de loin en loin, jusqu’à cette étreinte suivant la perte de ma famille.
Jusqu’à cette époque, ma conception de l’amour était… Commune, j’imagine. On s’aime, on se lie, mais sans doute ne peut-on jamais connaître vraiment l’autre. C’est la magie du désir que de lier des personnes qui peuvent, du fait même qu’ils sont étrangers, s’émerveiller de se trouver. Encore et encore.
Et puis Lamia m’intrigua. Elle était de ces femmes que je ne savais même pas espérer trouver. Une prestance incomparable, et une meneuse. Je me laissais entraîner avec plaisir dans sa ronde, acceptait de me sentir bourdon autour d’une reine. Et elle finit par me choisir. Nous n’avons osé qu’après nous dire, à demi-mots, que nous nous aimions, son départ outre-mer étant déjà programmé. Mais elle m’aida à comprendre que plus qu’une compagne, je pouvais trouver une égale, et même plus.
Mais c’est Mathilde qui fut mon premier alter-ego. Tout entre nous n’était que compréhension et partage. Je découvris avec elle ce qu’était la confiance absolue, celle qui annihile toute jalousie possible. Peut-être était-ce plus facile car, à mon grand désarroi, je ne tombais jamais vraiment amoureux d’elle. Quand il fut évident que c’était un besoin que je devais voir combler, je brisais ce lien. Un plus fort s’y substitua, une amitié qui perdurent encore à ce jour. Elle vient d’accoucher de son deuxième fils. Un bonheur que je partage, bien que nous ne nous voyions plus très souvent.
A bien des égards, Letizia fut un recul. Nous étions très amoureux, certes, mais j’aurais dû savoir que, plutôt que d’essayer de la rassurer, j’aurais dû éviter de l’enserrer dans un amour qui ne mènerait nulle part. Il faut dire qu’à cette période de ma vie, et depuis le début, je ne pouvais me projeter sans avoir obtenu cette raison d’être qui me paraissait indispensable à l’époque, et derrière laquelle je courais toujours : Se réaliser professionnellement, devenir le grand homme que je pensais devoir devenir. Les amours que je vivais alors m’accompagnaient dans mon parcours, mais je ne pouvais imaginer d’après.
J’ai pourtant refait cette même erreur avec Emmanuelle, nouant ensemble nos deux tristesses solitaires pendant une année, après quelques années de relations polyamoureuses pleines de joies, mais toujours sans avenir.
Quand Alizée est arrivée, elle ne devait être qu’une magnifique distraction, une plongée dans nos désirs communs. Mais nos sentiments se sont invités à la fête, et cette évidence a bien vite balayé les premiers doutes quant au fait que j’avais deux fois son âge. Malgré la peur de ne pouvoir l’accompagner jusqu’au bout du chemin, pour la première fois, j’ai vu un avenir. Un mariage et des enfants. Une vie à la regarder de ce regard à la fois triste, heureux et attendri qu’elle aimait tant. Mais voilà, malgré les promesses, elle ne pouvait supporter plus longtemps de gaspiller sa jeunesse à me voir sombrer toujours plus loin dans une dépression qui ne m’avait jamais quitté. Je n’avais pas souffert autant depuis mon premier amour, toujours dans ce besoin viscéral de la protéger du désir dévorant d’autres hommes qui n’auraient pas su la chérir comme ils l’auraient dû.
En un sens, elle fut le fond de la piscine. J’ai écrit ici le désespoir, et le chemin vers le havre de paix qu’a représenté alors l’hôpital, et le renoncement à toute responsabilité. L’acceptation, enfin, que je n’y arriverais pas tout seul. Et surtout, après quelques tâtonnements, le médicament qui me permit de découvrir la joie. Celle que nulle tristesse ne vient entacher, simple, naturelle, évidente.
Mais quand tous ces combats ont été menés, et quand l’âge avance, le besoin de partager la route devient tellement évident. C’est dans cet état d’esprit que quelques mots jetés sur un profil me firent vibrer, bien plus que ce minois avenant. Intelligente, déterminée, pourtant un peu ébréchée, d’un âge presque raisonnable, je me jetais comme je n’avais jamais pu dans cette histoire, le poitrail ouvert en grand. Qui changerait de nom, quels voyages nous ferions, tout avait été abordé bien vite, et tout concordait. Etait-ce les médicaments qui m’empêchaient de lui faire l’amour autant qu’elle l’aurait voulu ? Ou ce besoin désormais nécessaire d’un jeu de pouvoir pour aiguiser les appétits ? Ou tout simplement me serais-je stupidement arrêté au fait que son corps ne dessinait pas exactement les courbes que je désire ? Dur à savoir, mais pour cette raison, et surement bien d’autres, un soir, enlacés, elle lança l’idée de se séparer. Après six mois, je partis donc comme j’étais venu, sur une dernière étreinte et nos bouches qui se trouvent, pour, je n’en acquérais la certitude que plus tard, la dernière fois.
Bien plus qu’un nombre finalement abstrait de femmes étreintes, ce sont elles dont je me souviens. Elles m’ont façonnées, elles m’ont fait grandir, aider à affiner mes choix. Pour, peut-être, un jour, être celui qui sera nécessaire à la dernière. J’espère.