Minuit et demi. Je parlais avec une charmante virtuelle de notre future rencontre sur les toits de Paris, de la spontanéité, contre ma propre volonté de cadrer les choses pour qu’elles m’intimident moins, quand je demande à un ami de m’appeler… Une vingtaine de minutes plus tard, à minuit et demi, donc, je m’aperçois que la charmante veut sérieusement aller se coucher, alors que ses dernières répliques sous-entendaient une rencontre fortuite. Comme je n’aime pas les actes manqués, j’argue de tout bois pour la convaincre que non, se rhabiller n’est pas si difficile…
Une heure dix du matin, ma voiture s’arrête devant un immeuble récent du 11ème arrondissement. Les rues sont quasi-désertes, et j’allume une cigarette après avoir été surpris par les tonalités plus graves qu’attendues de la voix de la jeune fille, entendue pour la première fois, et qui dit, posée : « Je descends ». Qu’il est amusant d’attendre le premier contact visuel avec une presqu’inconnue, quand on sait qu’une intimité d’abord forcée nous attend, dans la nuit qui s’étirera le temps que les mots nous domptent… Si ça ne dérape pas immédiatement, évidemment. J’entends la porte de son immeuble claquer, et j’aperçois en tournant la tête une silhouette longiligne emmitouflée dans un grand manteau noir. J’ai le plaisir de me dire, immédiatement, qu’elle est jolie. Pourtant, les beautés immédiates ne sont pas légions. Du coup, c’est un jeune homme tirant frénétiquement sur sa (mal-)roulée qui accueille la jeune fille dans sa voiture, enchainant les phrases les unes après les autres avec un faux-air détaché…
Arrivé chez moi, j’ai le plaisir de découvrir un esprit vif, taquin, brillant, de ces esprits universitaires bourrés de noms propres et de citations compliquées qu’elle a la gentillesse d’épargner pour l’instant à mon inculture assumée… J’ai l’hypnose passive face à ses grands yeux pas tous noirs, et je me tais pendant qu’elle dit qu’elle aime mon regard, et d’autres choses que je lui rendrais au centuple si les mots pour lui dire n’était pas si faciles. On hésite, on s’interroge du bout des yeux, puis on sait, on tourne autour du pot, chacun attend l’autre, jusqu’à ce que le sommeil la rattrape insidieusement. Je me retourne pendant qu’elle enfile l’un de ces grands tee-shirts gardés autant pour les envies improbables de remettre un survêt quelconque que pour ce genre de situations, et c’est elle qui, touchée de ma pudeur, s’avance vers moi pour mettre son corps sous mes mains.
Ma recherche est d’abord timide, elle est si maigre que j’ai peur de l’effrayer. Je découvre pourtant des formes épanouies, des collines et des chemins que je ne devinais pas. Elle s’enhardit, devient presque sauvage, alors que mes caresses ne parviennent pas à se détacher de la tendresse qui me sied pourtant si peu, d’habitude. Mes mains n’arrivent qu’à lui dire qu’elle est belle, si belle qu’elles n’osent pas déranger. Elles volètent, s’excusent presque d’être passées par là, demandent grâce d’oser déranger tant de jolies choses… Ma bouche s’étonne de la hardiesse de la sienne, je m’en trouve timide plus que conquérant, la dévore pourtant des yeux.
Le reste, finalement, se trouvera dans nos deux mémoires plutôt qu’ici, mais mes gestes n’ont pas variés, ni mes regards. Je me souviens de ce pincement si connu et pourtant si recherché dans les poumons quand je l’ai regardé se lever du lit, pour enfin me dévoiler sa pleine nudité, et que mon esprit s’est emplit de sa beauté un peu irréelle. Je crois même en avoir oublié de remercier Dieu, sa mère, ou n’importe qui pour m’avoir permis de juste la regarder. Je sais aussi avoir dit qu’il fallait que je pense à découvrir plus avant son esprit. Que mes caresses ne se vident pas de sens une fois que je connaîtrais par coeur ses circonvolutions, et qu’il faudra que je touche son âme pour que les gestes restent les mêmes.
Et ce matin, alors que je la regarde s’enfuir de ma voiture, je pense que pas une fois je ne me suis dit que je me trompais. Je repense à mon besoin de tendresse récent, mais non, je ne suis plus assez faible pour me laisser avoir par cette envie, je ne rêve pas, c’est bien une rencontre. Je repense aussi à cette petite habitante de Caen (ne saurais-je donc jamais comment on dit, diantre), qu’il sera sans doute, du coup, dangereux de caresser maintenant. Je pense à l’ironie qui fera qu’elle me dira sans doute que j’ai rêvé, puisque tout ne peut pas être aussi évident. J’ai encore son odeur sur moi.
Et là, juste là, elle me dit qu’elle a une aventure avec un jeune homme déjà engagé ailleurs. Et que, du coup… Peu importe, finalement. C’est pour ce genre de moment que je veux vivre, même s’ils restent en suspens. Enfin une émotion qui passe tous mes filtres. Et juste pour ça, peu importe à qui : Merci quand même.