J’avais vingt ans, et depuis longtemps perdu la candeur des enfants. J’avais vingt ans, et j’essayais encore de me persuader qu’il n’y avait qu’Elle qui comptait. Pas de bordel en campagne pour me déniaiser, comme dirait Brel, la première fois était un amour fort, que j’aurai voulu pur. Pourtant, les désirs, les peurs, les doutes nous assaillaient déjà. Je n’avais plus vingt ans quand Elle m’a quitté après un emménagement avorté. Je n’avais plus vingt ans depuis longtemps, finalement.
Alors j’ai découvert les femmes. Toutes, dans leur diversité, je les ai regardées, désirées sans entraves, caressées quelques fois. J’ai dû faire mal comme je souffrais, appris à vider mes émotions qui m’avaient conduites si bas. Je n’ai pas su faire la vie sans Toi pendant des mois. Perdu dans un univers sans Toi, j’ai appris à cultiver l’aptitude à me regarder vivre, vide, sans cœur pour me battre. Je n’ai aimé que pour T’oublier, parce que toutes les caresses n’y faisaient rien. J’ai assouvi le fantasme d’être mon père, qui m’avait abandonné, lui aussi. De pouvoir abandonner sans souffrir, à mon tour. Mascarade, on souffre aussi de l’abandon quand on le déclenche.
Je T’avais pourtant retrouvée quelques semaines, avant ça, sans doute pour que Tu puisses mieux partir. Je ne T’ai pas laissée faire. Je t’ai trouvé une autre place avec d’autres majuscules, pour que ta vie soit toujours dans la mienne. Et les nuits que nous passons encore ensemble sont aussi chastes que mon désir pour toi est resté inchangé. Je sais ce que c’est que de se perdre, que d’aller jusqu’aux caresses qu’on ne désire pas, jusqu’aux étreintes qui n’émerveillent plus. Pascalien, je me divertissais.
Dans la foulée, j’ai abandonné des amours non déclarées pour des désirs sans valeur. J’ai su de ne pas dire par peur du pouvoir des mots. L’amour n’existe pas, n’est-ce pas, tant qu’on le garde pour soi ?
Maintenant, je sais. Mais je sais surtout qu’on ne peut pas transmettre ce savoir aux autres. Qu’il faut éprouver, que l’expérience des autres ne suffit pas. A avoir essayé d’éviter les trappes du chemin à d’autres, j’ai appris que les erreurs ne valent que si on les fait soi-même. Pourtant, je reste persuadé que les vérités peuvent encore se partager. Il n’y a que l’amour qui grandisse. Que l’amour qui partage. Que ces caresses-là qui font que l’âme s’élève. Même abandonnée.
Qu’on ne danse ces danses-là que pour attendre. Et que l’attente est longue.