Dialogue avec mon pénis

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2007
05.12

J’avais vingt ans, et depuis longtemps perdu la candeur des enfants. J’avais vingt ans, et j’essayais encore de me persuader qu’il n’y avait qu’Elle qui comptait. Pas de bordel en campagne pour me déniaiser, comme dirait Brel, la première fois était un amour fort, que j’aurai voulu pur. Pourtant, les désirs, les peurs, les doutes nous assaillaient déjà. Je n’avais plus vingt ans quand Elle m’a quitté après un emménagement avorté. Je n’avais plus vingt ans depuis longtemps, finalement.

Alors j’ai découvert les femmes. Toutes, dans leur diversité, je les ai regardées, désirées sans entraves, caressées quelques fois. J’ai dû faire mal comme je souffrais, appris à vider mes émotions qui m’avaient conduites si bas. Je n’ai pas su faire la vie sans Toi pendant des mois. Perdu dans un univers sans Toi, j’ai appris à cultiver l’aptitude à me regarder vivre, vide, sans cœur pour me battre. Je n’ai aimé que pour T’oublier, parce que toutes les caresses n’y faisaient rien. J’ai assouvi le fantasme d’être mon père, qui m’avait abandonné, lui aussi. De pouvoir abandonner sans souffrir, à mon tour. Mascarade, on souffre aussi de l’abandon quand on le déclenche.

Je T’avais pourtant retrouvée quelques semaines, avant ça, sans doute pour que Tu puisses mieux partir. Je ne T’ai pas laissée faire. Je t’ai trouvé une autre place avec d’autres majuscules, pour que ta vie soit toujours dans la mienne. Et les nuits que nous passons encore ensemble sont aussi chastes que mon désir pour toi est resté inchangé. Je sais ce que c’est que de se perdre, que d’aller jusqu’aux caresses qu’on ne désire pas, jusqu’aux étreintes qui n’émerveillent plus. Pascalien, je me divertissais.

Dans la foulée, j’ai abandonné des amours non déclarées pour des désirs sans valeur. J’ai su de ne pas dire par peur du pouvoir des mots. L’amour n’existe pas, n’est-ce pas, tant qu’on le garde pour soi ?

Maintenant, je sais. Mais je sais surtout qu’on ne peut pas transmettre ce savoir aux autres. Qu’il faut éprouver, que l’expérience des autres ne suffit pas. A avoir essayé d’éviter les trappes du chemin à d’autres, j’ai appris que les erreurs ne valent que si on les fait soi-même. Pourtant, je reste persuadé que les vérités peuvent encore se partager. Il n’y a que l’amour qui grandisse. Que l’amour qui partage. Que ces caresses-là qui font que l’âme s’élève. Même abandonnée.

Qu’on ne danse ces danses-là que pour attendre. Et que l’attente est longue.

T’as déjà vu un éléphant volant perdre un réacteur, toi ?


2007
06.12

Les exceptions qui confirment la règle. J’ai l’habitude de dire que je préfère la compagnie des femmes. Sauf quand je me retrouve à parler éthique, ethnologie (diable, que ne suis-je donc ignorant, encore), et de la nécessité de l’exaltation pour les dépressifs, avec l’homme dont je fus l’élève et un autre au milieu d’une dégustation de champagne, à midi à peine, après une réunion de présentation des produits pour lesquels je vais me prostituer avant Noël pour avancer le paiement de ma caméra. On ne crache pas sur l’argent vite gagné, dans ces cas-là.

Cet homme, donc, produit chez moi cette exaltation tant recherchée, et qui justifie l’existence même du plus désespéré. Bon, je dois avouer, forcément, on parle aussi des femmes, mais heureusement, sans cet air grivois et vicieux qui habite le visage de tant d’hommes quand ils en parlent. Juste l’admiration de ce qu’Elles sont, ces déesses salopes. Amusant, finalement, comme peu d’hommes, il me semble, peuvent comprendre le simple émerveillement d’une jolie paire de jambes passant dans la rue, sans imaginer d’autres lieux avec la dite gazelle urbaine. J’ai la chance, paraît-il, de n’avoir qu’un regard qui remercie en regardant ces spectacles qu’Elles nous offrent, tous les jours. Spectacles qui suffisent si souvent à illuminer ma journée, tant il est vrai que sans beautés, une journée est bien morne.

Et finalement, le fait de sentir l’envie de mes nuits de perdition dans leurs bras multiples me rassure, lui qui vit une belle histoire d’amour avec une jeune femme de mon âge. Parce que l’Homme, il faut le savoir, n’est que rarement profondément content de ce qu’il vit. On pourrait parler des heures de cette éternelle insatisfaction de soi qui pousse certains à se dépasser, à aller plus loin, toujours. Et de cette envie qui m’habite, devant les images données par le second élément de cette discussion de Chine, de Sri Lanka, de Brésil, qu’il est allé découvrir au hasard de son RMI et de quelques autres avantages qu’il passe sous silence. Du coup, certains projets ressurgissent, me hantent, m’incitent. Je n’ai jamais vu Istanbul. Pourquoi pas à dos d’éléphant ? Le monde autant que le corps des femmes est un terrain de jeu à épuiser. Je reprends mon souffle, et j’arrive, ma belle.

Egocentrisme


2008
09.01

Il est des êtres au sommeil si lourd que même leur mort approchante ne les réveillerait pas. Il est des êtres qui passent sans connaître, et qui partiront comme ces chiens errants qui ne regardent que le pas qui suivra dans leur marche folle.

Il y a des années, peut-être dans les racines d’une enfance décalée, j’ai essayé d’ouvrir les yeux. Sur moi-même, tout d’abord, sur mes peurs, mes défiances, et tous ces crapauds grouillants au fond de chacun, que l’on saura garder silencieux, ou qui donneront racine à tout ce qu’il y a de plus mauvais. Sur le monde, ensuite, malgré tous les filtres que j’ai devant les yeux, la morale, ces mêmes peurs qui empêchent de voir, l’éducation.

J’ai essayé de devenir ce que je pensais qu’on attendait de moi. Un homme, sérieux, actif, dynamique. Mais je ne suis pas cet homme-là. Trop de blessures si futiles qui entachent l’âme à jamais. Trop d’abandon pour se sentir en sécurité. Trop de petites fractures à l’ego qui font de moi un être en perpétuel demande.

Je suis un créateur. Rien de prétentieux dans cette affirmation. Le génie de la création vient après, et il n’est pas dit que j’y arriverais. Mais j’ai tous les défauts du créateur. Aérien, incapable de concentration en dehors de son plaisir. Et surtout, bipolaire, comme tant d’autres. Capable de désespoir et d’envolées. Tout prend plus de valeur, plus d’intensité, trop d’intensité. Le vide quand on finit quelque chose, le vide avant d’en reprendre une autre, et l’enthousiasme, l’exaltation, la folie presque quand on est en train de se réaliser. Mais toujours par vague.

Alors j’ai appris à nier mes émotions, parce que je les sais mensongères. Je suis devenu, pour tant d’autres, un bloc froid et sans sentiments. Je ne les laisse se réveiller que pour mon travail, parfois. Je me demande si je saurais un jour les contrôler sans qu’elles ne me contrôlent, et ainsi me laisser ressentir à nouveau sans qu’elles me submergent.

Et enfin, ne plus jamais regarder mon nombril.