Les coups de pied au cul

19 octobre


2014
16.11

Comment survivre ? Comment ne pas se recroqueviller dans un coin et se laisser mourir de chagrin et de colère ?

Le dimanche 19 octobre, comme si souvent, ils prenaient le bateau de Loïc pour aller pêcher. Le 19 octobre, leurs voisins du dessous les voyaient sortir du port. C’est ce qu’ils m’ont dit. Le 19 octobre, ils s’aventuraient un peu plus loin que les endroits que je leur connaissais. Ils avaient acheté pour l’été de quoi pêcher le bar, la baie de la Baule et l’estuaire de la Loire ne contenant plus que des maquereaux, dont maman faisait d’excellentes rillettes. Le 19 octobre, mon père devait tenir la barre du bateau, pendant que Maman pêchait. Le 19 octobre, il faisait un temps superbe sur la côte de Loire-Atlantique. Le 19 octobre, un coup de vent inattendu sur le plateau du Four, au large du Croisic, aurait atteint leur embarcation, et emporté mes parents.

Le dimanche 19 octobre, je me demandais pourquoi mes parents ne m’avaient pas appelé pour me souhaiter une bonne fête la veille. Le 19 octobre, je me rappelais surement qu’ils me manquaient terriblement.

Mais je n’avais plus de nouvelles de mes parents. Ni ne leur en donnais. Je savais que Maman se sentait mal ces derniers mois. Le résultat d’une femme consciencieuse au travail qui n’obtient pas la reconnaissance qu’elle mérite. Le résultat surtout d’une mère qui voit son enfant malheureux, sans pouvoir rien faire pour l’aider. Chaque échange étant un sujet de dispute, ne restait que le factuel, et quelques mails, pour leur dire qu’ils me manquaient. J’espérais que nous irions tous mieux, bientôt, et que nous nous retrouverions.

Je reçois dans les jours qui suivent des chocolats, avec un petit message imprimé de mes parents. Ils ont pensé à ma fête, mais n’ont surement pas osé m’appeler.

Deux semaines pendant lesquelles je survivais, comme depuis des mois, ayant cessé de me battre contre mes propres moulins à vent. J’avais baissé les bras, et ne savait même plus pour quoi les relever.

Et un samedi matin, le 1 novembre, ces 4 appels que je découvre en me réveillant chez Mathilde, qui me prête son appartement, vers midi. Moi qui ne reçois presqu’aucun appel depuis des mois. Moi qui n’ai pas entendu la voix de mes parents depuis le début de l’été.

Le 19 octobre, mes parents sont morts en mer. Je dois me rappeler de cette formidable bouffée de vie qui m’a assailli après que les hoquets de pleurs se furent calmés et que l’incrédulité m’habitait encore d’imaginer que mon pire cauchemar était là. Je dois me rappeler que mon père et moi avions décidé d’apprendre à nous aimer. A nous aimer mieux. Je dois me rappeler que le souhait le plus cher de Maman, que nous soyons une famille, nous réunissait déjà. Je dois me rappeler ce qu’ils auraient voulu, et que nous nous aimions, peu importe la maladresse avec laquelle nous l’avons fait. Je dois me rappeler que le 19 octobre, mes parents sont partis. Que désormais, je dois vivre pour nous trois. Que Maman a réussi enfin à faire entrer en moi sa force et sa volonté. Que Papa me tiendra toujours par les épaules, pour que je sois aussi droit et honnête qu’il le fut. Je dois me rappeler…

Que je vous aime, tous les deux. Vous me manquerez toute ma vie.

10 mars


2015
10.03

Et la vie, étonnamment, ne s’arrête pas.

Bien sûr, nombre de jours me ramènent l’idée que je serais bien, étendu auprès d’eux, apaisé enfin, et ne ressentant plus la souffrance de leur absence. Bien sûr, pas un jour ne se passe sans que mes pensées ne se tournent vers eux, perdus à jamais. Et souvent encore, et juste maintenant, les larmes me montent aux yeux.

Mais je me souviens aussi des promesses que j’ai faites sur cette tombe double. Où une troisième place m’attend déjà. Ils avaient 60 et 70 ans. C’est encore une cinquantaine d’années qu’on a volé à ceux que j’aimais, et qui m’ont fait. 50 années que je leur dois. 50 années que je ne dois pas gaspiller, que je dois vivre, coûte que coûte, parce que eux n’auront pas cette chance. Malgré la douleur, cette douleur, et toutes les autres, à cause de cette douleur, je dois tenir.

Aujourd’hui, Maman, tu aurais eu 61 ans. Aujourd’hui, je t’aurais surement fait envoyer quelque chose, surement en retard, comme cet anthurium pour la fête des mères, et qui est encore là-bas, dans notre maison, et que j’arrose dès que je le peux.

Au lieu de cela, je suis retourné au dernier endroit où tu seras jamais, et j’ai mis quelques roses dans un vase, quelques mètres au-dessus de toi. Et j’ai pleuré.

Aujourd’hui, j’ai aussi passé la journée dans les bras d’une surprise, que je pourrais presque te soupçonner, Maman, d’avoir envoyée là. Parce que, étonnamment, la vie ne s’est pas arrêtée. Parce qu’étonnamment, j’ai pu faire l’amour à cet ancien amour, si doucement, si tendrement, quand elle venait me voir, me porter, quelques semaines après qu’ils soient partis, alors que je n’avais pas touché une femme depuis des mois. Parce qu’étonnamment, j’ai retrouvé ensuite le chemin du plaisir dans les bras d’une compagne de jeux à l’écoute, et ouverte à toutes les folies qui me passent par la tête. Parce qu’étonnamment, aujourd’hui, je me suis senti si doucement vibrer pour une inconnue qui passait par là par les hasards des jours, et que mes mains sur son visage et sur son corps m’ont rappelées encore une fois que je pouvais respirer. Exister. Vivre.

Je ne sais où vous êtes tous les deux, aujourd’hui. Je ne crois pas, à mon grand désespoir, que vous fussiez ailleurs que dans mon cœur, meurtri et asséché, mais autel de votre mémoire, tant qu’il battra. Mais aujourd’hui, autant de femmes que d’années ont passées dans ma vie, me rappelant si souvent à mon corps qui, lui, veut se battre et exister. Rappelez-moi toujours cette pulsion de vie qui m’assaillît quand les vôtres se sont éteintes. Aidez-moi à me rappeler que je me bats aussi pour vous. Parce que c’est tout ce que vous souhaitiez pour moi. Rappelez-moi que l’amour transcende mes bassesses, mes erreurs, mes faiblesses. Et que quand mon corps retournera à la terre. Quand ma vie s’éteindra enfin. Je ne devrais rien regretter, et me laisser filer pour, le devoir accompli, me fondre à vous, dans le néant, qui sera l’endroit où je pourrais, une ultime fois, vous prendre dans mes bras.

Orphelin


2015
16.03

J’aime à le dire, souvent : J’ai toujours été un vieux con. Le temps a passé, et j’ai fini par fréquenter des gens plus jeunes, auprès de qui il est devenu possible de l’affirmer sans que ce soit absurde. Mais au fond, comme beaucoup d’autres, surement, je n’ai jamais vraiment grandi.

Jusqu’à ce matin du premier novembre, le jour des morts, où, bien que je ne le sache pas encore, je me suis réveillé orphelin. Un grand gamin de 34 ans qui avait perdu ses parents.

Depuis, bon gré mal gré, je suis, par la force des choses, un adulte. Mes amis me servent de béquille, mais bientôt, je devrais marcher, réellement, seul, sans personne pour me relever quand je tombe.

Je me souviens que lors de mon premier grand chagrin d’amour, après quelques semaines à essayer de surnager dans ma peine, à me noyer dans des soirées, j’avais appelé Maman, un soir. Elle était venue, sans même y réfléchir, et m’avait ramené à la maison. J’avais 20 ans, et je pense me souvenir qu’elle avait vite retrouver ce geste, qui pourrait sembler incongru, qu’elle avait pour me calmer quand j’étais enfant, de caresser mon postérieur.

Je me souviens ne pas avoir capté sa détresse lors de la mort de sa propre mère, deux ans plus tôt.

Je me souviens qu’à chaque faux-pas, à chaque embûche, d’une manière ou d’une autre, qu’il ait fallu qu’il le soit ou non, ils étaient là. Toujours prêts à me relever, à m’aider, à me soutenir. Quelle chance j’ai pu avoir, de les avoir.

Alors, évidemment, qui soigne ma peine, aujourd’hui ? Qui puis-je appeler pour me consoler ? Mon père avait appris à m’écouter, et à me comprendre, malgré les murs immenses qui nous séparaient. Ma maman savait m’entendre, me parler. Je la prenais souvent dans mes bras, le soir. Lui montrer que je l’aimais.

Mais maintenant, seul, il n’y a personne pour me consoler. Personne pour me dire que cela passera. L’ultime mensonge raconté aux enfants. Des fois, les peines ne sont pas des gros chagrins. Des fois, elles ne passent pas. Des fois, on s’habitue juste à leur présence, on les range dans un coin, avec les autres, de plus en plus lourdes à porter, et on continue à marcher. Sur ce chemin qui, imperceptiblement, nous mène à oublier qu’avant, quelqu’un d’autre portait notre fardeau.

Que fais-tu quand elle n’est pas qu’à toi ?


2015
22.03

Des vagues… Tu divagues, entre deux eaux. « Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? »

Tu te noies, dans des bras, qui te tirent vers le fond ? Ou t’aide-t-il à ne pas te perdre dans les méandres d’un chagrin impossible à regarder ? Ne te mens pas. Tu cherches là l’oubli qui n’arrive jamais à t’habiter, et en ça, tu n’as pas changé.

Incapable. Stupide. Incapable d’aimer celle qui t’appartient. Tombant amoureux de celles que tu ne touches pas, ou pas assez. C’est facile, n’est-ce pas, de tout donner à celle qui ne le prendra pas ? Tu ne prends pas de risques, celui de la faire souffrir. Celui d’assumer que tu peux faire mal.

As-tu regarder les dernières femmes pour qui tu t’enflammes ? Oui. Le même schéma. Elles ne sont pas à toi. Elles te donnent leur corps, elles te donnent leurs yeux plein de promesses, leurs bras plein de tendresse et de désir. Et toi tu les aimes, comme un fou, tu les écris, tu leur ériges des autels au pied desquels tu te recueilles, te flagelles, trop stupide pour voir que tu construis ton propre désespoir.

Bien sûr, la jalousie te fait vivre, ne jamais l’avoir à toi fait que tu passes ta vie à les séduire, tu fais le paon, brandissant toute ton âme en étendard de couleurs chamarrées.

As-tu, auras-tu seulement le courage d’essayer, si celle que tu dis attendre se présente ? Pourras-tu arrêter de voir la vie comme une épreuve à traverser, t’érigeant toujours plus de remparts à franchir, de barrières à briser ?

T’avoueras-tu que tu aimes ce déséquilibre, funambule au dessus du vide au fond de toi. Trouveras-tu la force que dis-tu tes parents t’ont donnée, de redescendre au sol, de trouver l’équilibre qui pourrait t’offrir le bonheur, le vrai ? La plénitude qui te remplirait enfin ?

Bien sûr que non. Lâche, tu vas continuer à errer, te gargarisant de ton malheur, l’éclaboussant à la face de ceux qui voudront bien l’écouter, créant ce côté torturé, parce que tu sais que cela plaît. Et quand viendra ton tour de nourrir les vers, tu seras seul. Aucune âme ne t’accompagnera dans le vide.

Souviens-toi de cette phrase que tu ériges en leçon pour les autres mais que tu ne suis jamais : « La liberté, c’est assumer ses choix ». Toi, tu ne choisis pas. Tu prends tout, et tu n’as rien. Et tu trouves le moyen de t’en plaindre.

Continue à écrire, pour personne, tes tourments sentimentaux que tu crées de toutes pièces. Et abandonne-toi dans ces bras que tu chéries d’autant plus qu’ils finiront par t’abandonner, un jour ou l’autre. Feras-tu un jour les sacrifices qu’il faut ?


Tu n’es pas clair. Tu as appris à accepter que le corps de l’autre, que tu as fait tien, passe dans d’autres mains. Tu as appris à aimer une qui n’était pas à toi. Tu étais le compagnon, ou l’amant. Mais là ? Un peu à toi. Un peu à d’autres. Sans doute avec la même intensité, avec la même flamme dans le regard. Et tu deviens un parmi d’autres, chéri, certes, mais pas unique. Nullement original. Peux-tu supporter ça ? Un jour tu seras comme toutes les cendres, mais vivant, tu es différent. Tu te le dois ?

Tu sais ce que tu devrais faire. « […] puisqu’il est cruel, vous fûtes sot de ne pas, cet amour, l’étouffer au berceau ! », dit Roxane. Tu en as déjà étouffé d’autres. Quelques jours, et cette sensation si belle, si exceptionnelle, tu n’en fais qu’un souvenir légèrement teinté de mépris et de regret. Tu sais bien pourquoi d’un coup, tu cours non plus à l’assaut d’autres corps, mais d’autres cœurs. Pour te prouver que toi aussi, tu peux aimer double, ou triple… Que ce n’est pas un mensonge. Pour ne pas être en retrait, non ? C’est un jeu de dupes, encore un. Tu es curieux, mais tu veux te protéger, surtout.

Vas-tu courir la Bretagne pour la retrouver ? Vas-tu accepter qu’en la quittant, son âme ira déjà courir en pensée vers un autre ? Tu t’es déjà réservé une possibilité d’une autre rencontre, même pas rentré chez toi. Pour ne pas trop penser à elle en rentrant. Pour te prouver que tu es dans le désir, et non dans le besoin ?

Ne crois-tu pas, au fond de toi, qu’un amour naissant qui n’est pas exclusif n’est pas complet ? Une manière de te mentir ? Tu vas aller voir ? Tu vas continuer à te faire mal ? Au moins, ça te détourne d’autres douleurs. Et tu meurs de sentir son joli visage entre tes mains. Tu mendies ce pincement dans ton cœur sec. Et tu vas le mendier longtemps.

Trois jours et deux nuits


2015
25.03

Trois jours et deux nuits. Trois petits mots et deux espaces où ce qui ne peut être exprimé se niche. Où tes mains cherchent les miennes et où nos corps se lient.

Des parenthèses où nous nous trouverons, jusqu’à ce que ton cœur se soigne, et aille, dis-tu, se fondre avec un autre que moi. Un hors-du-temps où nous nous trouverons, jusqu’à ce que ton corps accepte de se libérer enfin entre les mains d’un autre que celui qui te manque. Nous croyons que ce sera moi. Peut-être qu’alors, nos étreintes continuerons, toujours plus intenses, plus joyeuses. Peut-être qu’alors, nous nous apercevrons de la réalité d’un « nous ». Et ferons mentir l’adage « qui se ressemble s’assemble ». D’ailleurs, es-tu sûre que nous fussions si différents ? Ou peut-être qu’alors, nos deux âmes se détacheront comme deux parties d’un fruit trop mûr, étonnées d’avoir partagé autant, et heureuses de l’avoir fait.

Cette incertitude me refera mal, surement. Et sans doute n’aurais-je pas la force de te le cacher, partageant aussi ma douleur. Alors j’essayerais de faire vibrer mon cœur ailleurs. Alors je n’y arriverais pas, et je t’en voudrais, un peu. Alors aussi ton sourire se ternira quelque peu, jusqu’à ce que nos deux peaux se collent à nouveau, dans l’évidence qui est déjà nôtre.

27 mars


2015
31.03

Il en aura fallu, du temps. Du temps pour qu’on se tolère, qu’on s’apprenne. Qu’on se parle. Et puis, d’une certaine manière, qu’on se respecte. Toi l’homme droit, inexpressif, affirmé, travailleur, et moi le roseau qui plie sous le vent, jamais au bon endroit, torturé et émotif. La fourmi et la cigale, peut-être. Et aujourd’hui je récolte le fruit de ton labeur sans avoir rien fait pour ça.

Il y a beaucoup de jours où je t’ai haï. D’avoir brisé le couple que je formais avec Maman, surement. De ta dureté, de ton intransigeance, que, je l’ignorais à l’époque, tu appliquais d’abord à toi-même. Là où Maman me traitait comme un égal, tu pensais que l’enfant n’avait pas droit à la parole. Nul doute que c’est la manière dont toi tu avais été élevé. Alors je t’ai affronté. J’ai dû gagner ce droit, et ton respect. Tu ne le montrais pas souvent, me rabrouant souvent, évoquant mon manque de culture, de lecture, de travail, mais je sais aujourd’hui que tu appréciais mon esprit. Surement devais-tu penser qu’avec le travail que j’aurais dû fournir, comme toi, j’aurais pu être quelqu’un qui peut apporter aux autres. Maman nous disputait souvent de nos haussements de ton, mais nous savions, tous les deux, que là se trouvaient nos échanges, et que la voix qui monte n’était plus le signal d’un affrontement imminent, mais juste notre façon de communiquer.

Je me souviens de la première fois où je t’ai aimé. Je retrouverais bientôt, je l’espère, la photo que Maman avait prise. Nous nous baladions en vélo tous les trois, et tu avais passé ton bras autour de mes épaules pour prendre la pose. Je crois bien que c’était là la première marque de complicité que tu marquais. Je me souviens aussi du regard fier que je posais sur toi quand je venais te voir à ton cabinet. « C’est mon père », me disais-je. Ce n’est que quelques années plus tard, après que Maman eut bien balisé le terrain, que tu me dis que tu souhaitais m’adopter. J’aurais voulu que tu dises : « Parce que tu es mon fils. » Mais tu as parlé d’héritage. C’était ta façon à toi de me dire que tu étais là. Toutes ces attentions que tu avais à mon égard, que Maman devait dire, sans quoi je n’aurais jamais su que ça venait de toi.

Nous avons continué de nous affronter, souvent, comme ces vieux amants dont parle Brel. Mais tu voyais j’espère dans mon regard que je t’écoutais avec une attention nouvelle, cherchant dans tes mots les arguments même qui me permettraient de te contredire. Et je crois que tu goûtais ces contradictions avec intérêt.

Nous avons grandi, l’un à côté de l’autre, l’un contre l’autre, et si je sais que tu m’as changé, j’aime à croire que je t’ai changé aussi. Parfois, tu fléchissais. Parfois, j’arrivais à te prendre dans mes bras.

Forcément, ce 27 mars, j’aurais aimé pouvoir le faire, une dernière fois. J’ai mis quelques jours à trouver le courage de venir te voir, dans cet endroit que tu ne quitteras plus. Je sais, désormais, toujours où te trouver. Et tu sais que mon âme ne quittera jamais vraiment ta dernière demeure.

J’aurais aimé que tu me guides encore un peu. Le monde est dur, tu ne m’as pas assez appris, encore. Mais si je t’ai affronté toi, alors je peux affronter la terre entière. Pourtant, je regretterais toute ma vie de n’avoir jamais trouvé le bon moment, jamais trouvé le courage de t’appeler comme je t’appelle aujourd’hui, si souvent, pour te rappeler à moi.

Tu me manques, Papa.

 

Réminiscences


2015
03.05

Des semaines depuis que nous nous sommes vus. Des semaines où tu m’as fait comprendre la place que je pouvais prendre dans ta vie. Elle n’est pas grande. Soit. Des instants, qui seront forcément aussi intenses qu’ils seront sporadiques.

Et puis ces vingt-quatre heures que tu peux m’accorder, entre deux allers-retours d’un coin à l’autre de notre Bretagne. Je prends, évidemment. Mais que te faire découvrir ? Moi qui suis, devant ton petit corps gracile, désarmé. Il faut bien pourtant que je te montre l’éventail de mes envies.

Je repense à ce lieu découvert en fouillant le net à la recherche de ces clubs non-conformistes que j’écume avec une autre que toi. Un lit pour que tu sois toute à moi, et des endroits disséminés dans une belle bâtisse où nous pourrons jouer à ce qui pourra nous faire vibrer.

Quand nous entrons, tu ignores encore dans quel univers j’ai voulu te baigner. Je scrute, avide et un peu inquiet, ton regard à mesure que tu découvres les photos sur les murs, les livres disséminés sur la table. Et puis ces entraves attachées à une barre suspendue depuis le 1er étage. Tu ne mets pas longtemps à comprendre que ce n’est pas le petit refuge romantique auquel tu t’attendais, et pense à la fatigue accumulée tout au long de la semaine, et que ce n’est pas cette nuit que tu trouveras le repos.


Dans la moiteur du hammam, je me laisse envahir par ton sourire fatigué. Mes mains courent sur ton corps nu. S’émerveillent toujours d’y trouver tant de recoins où elles trouvent leur place. Ta main à toi s’attarde entre mes cuisses. Elles cherchent à me saisir, me trouvent, me flattent doucement. Tu me sens gonfler entre tes doigts pendant que nos regards s’explorent, et que mes mains se perdent à leur tour entre tes jambes.

J’embrasse la toison noire de ton pubis. Mes lèvres suivent l’intérieur de tes cuisses, passent de l’une à l’autre. De loin en loin, je capte ton regard qui me fixe. Ton corps déjà réagi à ma bouche qui t’explore. Je happe ton sexe, trouve le recoin qui se darde déjà vers ma langue. Tes hanches me cherchent, de plus en plus avides. Tes gémissements se font plus lourds, plus rauques, ton regard se ferme, je sens ton âme qui se recroqueville au creux de toi, et agrippe fermement tes fesses pour que tu ne me perdes pas en route dans le mouvement frénétique de tes hanches.

Les yeux au fond des tiens, je sens ton ventre s’écarter pour me laisser entrer.


Dans le parc du restaurant où je t’ai emmené dîner, tu te fais taquine. Me provoques. Comme si tu ne savais pas que peu de choses m’arrête. Le temps d’un baiser, je te plaque le ventre contre le mur en pierre d’un recoin incertain et baisse ta jupe sur tes chevilles. Mes doigts trouvent ton sexe déjà humide, juste le temps de m’enfoncer en toi d’une poussée pendant que tu te tords pour trouver mes lèvres. Tu étouffes ta voix, mais ton ventre bat au rythme de mes coups de reins entre tes jambes.


Je te pousse, nue, dans la balançoire au milieu du grenier, à quelques pas de notre chambre. Nos sexes se joignent encore, sans préambule, et le mouvement de balancier amène tes fesses cogner contre mes hanches. Ta tête se penche en arrière, comme perdue, et nos mouvements s’accélèrent avant que je n’attrape tes cheveux pour que nos langues s’emmêlent. Il y a quelque chose d’animal dans tes yeux tandis que tu te mords les lèvres avant que je te soulève pour mieux t’envahir.

Coincée, debout, contre la table de massage sur laquelle je t’avais allongée tout à l’heure, tu me sens collé derrière toi alors que mon sexe te pénètre. Enfouissant ma tête contre ton cou, je laisse ma main jouer entre tes jambes. Puis contorsionnant mon bras, je viens posséder de mes doigts ton cul encore vierge jusque là de mes assauts. Comme avant, ils trouvent leur place en toi, un à un alors que je te prends. Impatient, je sors de toi, et me présente face à la porte que je viens d’ouvrir pour t’envahir.

Tu palpites autour de moi tandis que je t’écartèle. Fiché au fond de toi, je ne bouge plus, laissant seulement ma main flatter de nouveau ton sexe, le massant le temps que tu t’habitues à ma présence. Bientôt, c’est ton bassin qui vient à ma rencontre, glissant le long de mon sexe. Je goûte chaque centimètre que ton cul parcoure sur moi, et ramène mes doigts au fond de ton sexe pour te remplir complètement. Tu projettes tes fesses contre moi, et je perds le fils, mais je t’entends me murmurer que tu veux que je jouisse en toi.


Je t’ai laissée dormir, malgré mes réveils réguliers et le désir de te prendre dans ton sommeil. Au petit matin, ton corps bouge, tes yeux s’entrouvrent. Nos lèvres se trouvent, nos mains jouent, nos corps se joignent, d’abord sagement.

Tu me chevauches, jouant de tes hanches mouvantes au dessus de moi. Il me semble que je retrouve sur ton visage ce sourire presque carnassier que tu as quand tu sens ton plaisir monter.

Tu es allongée face contre le lit et je te recouvre de tout mon poids quand je sens monter en moi le relâchement que nous n’avons pas encore atteint. Je me retire prestement et recouvre ton dos de myriades de tâches blanches. Je pense au chat qui recouvre l’échine de sa partenaire quand cette dernière s’échappe de leur étreinte un peu trop tôt.


Des instants qui te laisseront pantoise, éreintée, comblée. Des instants qui me laisseront planant sur une autre terre. Une où il n’y a que ton image qui plane devant mes yeux aguards. Où tout le reste peut disparaitre.

Un dernier moment


2016
04.03

Ca fait un an que je n’ai pas écrit sur vous. Dans quelques jours, vos anniversaires en enfilade, pour me rappeler que vous ne rentrerez jamais dans la dizaine que vous entamiez chacun, ensemble.

Mais pourquoi ce soir, je crois me rappeler enfin la dernière fois où je vous ai vu. C’était l’hiver. Presqu’un an avant. Nous avons mangé ensemble, à Paris, j’ai salué mon père, je crois. Je crois que j’ai serré ma maman dans mes bras. Est-ce qu’elle a encore essayé de me refourguer un ticket de métro ? Impossible de me rappeler. Mais ce dernier regard posé sur elle… Comment aurais-je pu savoir que ce serait le dernier ? Avez-vous monté ensemble les marches ? Vous ai-je regardé retourner à l’hôtel ?

Et je chiale comme un gamin, à 4 heures du matin passé, en pensant à ce dernier moment qui me revient enfin. Je ne sais pas quoi faire de lui. Où le ranger dans ma mémoire pour qu’il arrête de marteler mon crâne devenu sourd au vide dont je l’assomme, pour oublier.

Parce que plus jamais je ne poserais mon regard sur vous. Parce que tout ce qu’il reste de vous est en train de pourrir sous terre depuis plus d’un an, après avoir pourri dans l’eau glacée. Parce que je n’ai jamais pu revoir vos visages. Que la dernière image que j’ai de vous est une photo que je n’ai pas prise.

Tu me disais que je devrais prendre plus de photos de toi. Pour quand tu ne serais plus là. Je regrette que tu ne puisses pas te réjouir d’avoir eu raison, Maman.

Je voudrais, comme tout le monde, qu’on me donne un dernier moment. Pour qu’on se dise ce qui ne sera jamais assez dit. Pour qu’on oublie. Ensemble. Les douleurs que nous nous sommes infligées. Je vous demanderais pardon de ne pas être celui que vous vouliez. De me pardonner : Je ne le serais jamais. D’essayer, si c’est possible, de m’aimer aussi imparfait que je suis. De tenter l’impossible…

Je crois que vous le faisiez.

Infarctus


2016
20.07

On se rencontre. Me concernant, un peu à reculons. Mais je dois remettre le pied à l’étrier. Et puis on discute. Non, tu n’es pas sexy. Entre deux nuits dans un camion, remontant la côte Atlantique. Mais on parle, on parle, et puis le jour tombe, et on parle toujours. Alors on continue. L’heure avance, alors pourquoi pas, après tout ? On s’allonge l’un à côté de l’autre, nos lèvres se trouvent, et je suis amoureux. Pourquoi pas, après tout. Ecouter ces sensations sans réfléchir.

C’est la porte que tu m’as ouverte. Ecouter mes sensations, mes sentiments, sans m’interroger sur leur provenance, leur utilité, leur chemin. Les écouter d’où qu’elles viennent, les écouter même si elles sont multiples, envers et contre tout. Ca durera, ca ne durera pas, peu importe, puisque l’important, c’est que nous nous rencontrions dans ces replis de cœur qui sont les seuls ornements qui valent.

Mais j’avais oublié. Que ce n’est pas le chemin des autres. Et surtout, que les chemins qui se séparent, pour les autres, ce sont les cœurs qui se déchirent.

Depuis toi, elles ont été nombreuses, celles qui ont su faire vibrer mon cœur. Une après l’autre, une pendant l’autre, peu importe, mais l’attachement, soudain, inattendu, évident. Pour un sourire, pour un orgasme, pour une pensée, et mon cœur qui s’emballe.

Mais mon cœur n’oublie pas. Depuis la première, la toute Première, il créé une nouvelle place. Et quand elle part, il laisse l’endroit vide, aspirant autour de lui tout ce qu’il peut pour combler, sans succès.

Je pensais qu’on pouvait garder ces places ouvertes. Que les chemins se quittent, mais que la place pouvait rester ouverte, au creux de chacun, pour qu’à un détour on se retrouve au chaud, chez soi. Et qu’un jour, mon cœur serait un immeuble gigantesque, avec une place pour dormir pour chacune qui y aurait un jour trouvé sa place.

Faire ses adieux


2016
11.10

Cela faisait longtemps que je n’avais pas rêvé de toi, Maman. Et puis cette nuit, je t’ai retrouvée. Nous étions devant ce même ordinateur sur lequel j’écris, je crois. Va savoir ce que nous nous sommes dits, mais je me sentais plus conscient que je ne l’ai jamais été en songe. Je crois que c’était un rêve dans un rêve, et que dans le second, j’étais conscient de l’irréalité du premier.

Sans doute est-ce pour cela que j’ai l’impression d’avoir pu, enfin, te faire ces adieux apaisés que nous n’avons pas pu avoir. Les mots échangés m’échappent déjà, tu sais. Seule cette sensation poignante d’avoir parlé vrai m’habite. M’as-tu pardonné ? Sommes-nous vraiment apaisés ?

Par un procédé que j’ignore, tu étais là. Le fruit de ta présence en mon esprit ? J’aime à croire que quelque part, dans un endroit que je n’accepte même pas, ton essence a survécu. Et que tu as trouvé la paix que tu n’avais pas. Je te le jure, j’essayerais de la trouver, avant que l’aiguille ne tourne une fois de trop, pour moi aussi.

J’ai un chemin à suivre, Maman. Je sais que tu m’accompagneras tout le long de celui-ci. Et que mon père ne sera jamais loin pour me ramener dans le droit chemin.

Il y a encore ton odeur sur ta chemise de nuit. Hier soir, je m’en imprégnais encore.