Comment survivre ? Comment ne pas se recroqueviller dans un coin et se laisser mourir de chagrin et de colère ?
Le dimanche 19 octobre, comme si souvent, ils prenaient le bateau de Loïc pour aller pêcher. Le 19 octobre, leurs voisins du dessous les voyaient sortir du port. C’est ce qu’ils m’ont dit. Le 19 octobre, ils s’aventuraient un peu plus loin que les endroits que je leur connaissais. Ils avaient acheté pour l’été de quoi pêcher le bar, la baie de la Baule et l’estuaire de la Loire ne contenant plus que des maquereaux, dont maman faisait d’excellentes rillettes. Le 19 octobre, mon père devait tenir la barre du bateau, pendant que Maman pêchait. Le 19 octobre, il faisait un temps superbe sur la côte de Loire-Atlantique. Le 19 octobre, un coup de vent inattendu sur le plateau du Four, au large du Croisic, aurait atteint leur embarcation, et emporté mes parents.
Le dimanche 19 octobre, je me demandais pourquoi mes parents ne m’avaient pas appelé pour me souhaiter une bonne fête la veille. Le 19 octobre, je me rappelais surement qu’ils me manquaient terriblement.
Mais je n’avais plus de nouvelles de mes parents. Ni ne leur en donnais. Je savais que Maman se sentait mal ces derniers mois. Le résultat d’une femme consciencieuse au travail qui n’obtient pas la reconnaissance qu’elle mérite. Le résultat surtout d’une mère qui voit son enfant malheureux, sans pouvoir rien faire pour l’aider. Chaque échange étant un sujet de dispute, ne restait que le factuel, et quelques mails, pour leur dire qu’ils me manquaient. J’espérais que nous irions tous mieux, bientôt, et que nous nous retrouverions.
Je reçois dans les jours qui suivent des chocolats, avec un petit message imprimé de mes parents. Ils ont pensé à ma fête, mais n’ont surement pas osé m’appeler.
Deux semaines pendant lesquelles je survivais, comme depuis des mois, ayant cessé de me battre contre mes propres moulins à vent. J’avais baissé les bras, et ne savait même plus pour quoi les relever.
Et un samedi matin, le 1 novembre, ces 4 appels que je découvre en me réveillant chez Mathilde, qui me prête son appartement, vers midi. Moi qui ne reçois presqu’aucun appel depuis des mois. Moi qui n’ai pas entendu la voix de mes parents depuis le début de l’été.
Le 19 octobre, mes parents sont morts en mer. Je dois me rappeler de cette formidable bouffée de vie qui m’a assailli après que les hoquets de pleurs se furent calmés et que l’incrédulité m’habitait encore d’imaginer que mon pire cauchemar était là. Je dois me rappeler que mon père et moi avions décidé d’apprendre à nous aimer. A nous aimer mieux. Je dois me rappeler que le souhait le plus cher de Maman, que nous soyons une famille, nous réunissait déjà. Je dois me rappeler ce qu’ils auraient voulu, et que nous nous aimions, peu importe la maladresse avec laquelle nous l’avons fait. Je dois me rappeler que le 19 octobre, mes parents sont partis. Que désormais, je dois vivre pour nous trois. Que Maman a réussi enfin à faire entrer en moi sa force et sa volonté. Que Papa me tiendra toujours par les épaules, pour que je sois aussi droit et honnête qu’il le fut. Je dois me rappeler…
Que je vous aime, tous les deux. Vous me manquerez toute ma vie.